« Marie, j’ai l’impression de gérer une garderie! »
Vous n’avez pas idée du nombre de fois où j’ai entendu ce commentaire dans ma carrière en ressources humaines. Le pire, c’est que les entrepreneurs et les gestionnaires ont, la plupart du temps, raison d’utiliser l’image de la garderie comme analogie. Mes trois enfants sont très souvent plus faciles à vivre qu’un noyau dur d’employés difficiles dans une PME! Dans ce contexte, comment pourrait-on penser créer une structure horizontale basée sur l’autonomie des équipes sans se retrouver dans un environnement aussi imprévisible que Jumanji?
Pour contrer la pénurie de main d'œuvre et pour assurer la rétention de leurs employés, certains entrepreneurs misent sur le modèle de « l’entreprise libérée » comme solution miracle.
« L’entreprise libérée » est un modèle d’affaires qui suscite beaucoup de curiosité et qui grandit depuis quelques années. L’entreprise libérée déconstruit le système hiérarchique tel que nous le connaissons depuis toujours et place tous les employés sur le même pied d’égalité. Récemment, l’entreprise beauceronne Armoires AD+ a fait parler d’elle dans les médias pour avoir choisi d’implanter ce modèle d’affaires.
Le succès de l’entreprise libérée est basé sur la communication et sur la confiance. J’ajouterais : une confiance TOTALE. Pourquoi? Parce que les prises de décision n’appartiennent plus qu’aux gestionnaires. Ici, plus de hiérarchie et plus de comptes à rendre à un gestionnaire : chaque employé est responsable du succès de l’entreprise. L’employé, peu importe son poste de travail dans l’entreprise, peut prendre ses propres décisions et responsabilités.
Mais l’entreprise libérée est-elle vraiment efficace? Les entreprises qui ont adopté la liberté attestent déjà des résultats positifs de ce modèle:
- Une augmentation de la productivité
- Un sentiment de confiance plus grand
- Des employés valorisés, plus engagés et plus impliqués dans l’entreprise
- Un épanouissement croissant
- Une autonomie plus grande
- Une rétention et des employés qui refusent de quitter
Il faut se dire les vraies affaires. Le modèle de l’entreprise libérée vise d’abord et avant tout à assurer la rétention du personnel. Même si certains craignent un ralentissement de leurs activités avec une éventuelle récession, tous souhaitent conserver leurs meilleurs employés. Et si l’abolition de la hiérarchie était l’une des solutions pour favoriser la rétention du personnel?
Attention, comme dans toutes propositions, ce n’est PAS une solution miracle. Au contraire, si vous êtes mal préparé ou si vous ne mettez pas à disposition les bonnes ressources pour vos employés, vous gérerez davantage de problèmes que vous n’en réglerez.
Plusieurs enjeux doivent être attaqués de front avant de vouloir et surtout de pouvoir implanter l’entreprise libérée. En voici quelques-uns :
- Tous les employés n’aspirent pas à ce type de responsabilité. Certains employés préfèrent être encadrés et ne pas avoir à assumer des décisions.
- Vos employés seront-ils réellement gagnants? Est-ce que leurs nouvelles responsabilités signifient une augmentation de leur salaire?
- La résistance au changement peut causer des problèmes. Par exemple, un gestionnaire peut avoir du mal à se détacher de son rôle initial, ce qui peut créer des sources de tension avec les employés qui croyaient devenir plus autonomes.
- Qui s’occupe de gérer les salaires et de négocier la prochaine convention collective? Qui fait les entretiens d’embauche? Qui fixe les limites?
- Est-il essentiel d’avoir un référent et des règles hiérarchiques pour éviter le chaos?
Ce ne sont que quelques-unes des questions qui pourraient créer des irritants. L’entreprise libérée n’est pas un modèle applicable one size fits all pour toutes les entreprises : ça dépend de la grandeur de l’entreprise, de son secteur d’activités, de sa culture, de ses valeurs, mais aussi de ses dirigeants. Ce modèle est plus facile à implanter dans des petites PME, mais ça ne signifie pas que c’est l’avenue à privilégier pour votre situation. Parce qu’il s’agit de passer d’une logique de contrôle à une logique de confiance totale, ne l’oubliez jamais.
Si vous avez pris la décision d’aller de l’avant avec le modèle de l’entreprise libérée, voici les ingrédients pour garantir son efficacité:
- La nécessité de mener des réflexions collectives, pour que chacun puisse s’impliquer dans le processus.
- Former, accompagner et coacher les personnes pour les aider à comprendre les objectifs (ex: financiers) et ainsi leur permettre de prendre des décisions.
- Avoir une vision commune et être d’accord sur l’objectif principal : où veut-on aller?
- Être ouvert aux propositions et se détacher de son rôle initial de gestionnaire: accepter de lâcher prise, remettre en cause ses croyances.
- Être égaux quand tout va bien, mais aussi quand tout va mal : laisser les employés exprimer leurs doutes et leurs émotions, leurs questionnements et mettre en place des temps d’échange.
- Favoriser la communication et l’organisation: une condition clé de réussite et de succès.
L’entreprise libérée est un cheminement à parcourir à l’interne et un processus complexe à implanter. C’est un pensez-y bien parce que ce modèle peut avoir des conséquences importantes sur la gestion de vos ressources humaines et le bien-être de vos employés. On ne devient pas une entreprise libérée du jour au lendemain. Il faut accepter le temps que ça prend pour la mettre en place. Et ce modèle reste, même s’il est applaudi par certains entrepreneurs, extrêmement ardu à implanter dans n’importe quelle PME et difficilement applicable au sein de certaines entreprises.
Dans le doute, n’hésitez pas à vous faire bien accompagner car tout projet pour favoriser la rétention peut aussi devenir une source de tension et de conflits parmi vos employés.
